Nasser Diallo: “le football ivoirien regorge de talents”

 

Nasser Diallo est un nom qui résonne dans le milieu footballistique ivoirien, même si son visage reste souvent méconnu. Agent de joueurs respecté, il a fait ses preuves en transférant plusieurs talents du football local vers des horizons plus compétitifs. Dans cette interview, il nous parle de sa carrière, des défis du football ivoirien, et de la réalité du métier d’agent de joueurs en Afrique.

Qui est Nasser Diallo qui fait tant parler de lui dans le milieu footballistique en Côte d’Ivoire ?

Aujourd’hui, dans le monde du football ivoirien, beaucoup de personnes me connaissent sans forcément connaître mon visage, car je suis quelqu’un de naturellement timide et qui travaille beaucoup dans l’ombre. Pour moi, le plus important, c’est que mon travail parle pour moi. J’ai réalisé plusieurs transferts et travaillé avec de nombreux joueurs.

Quels sont justement les joueurs que vous avez eu à transférer ?

J’ai notamment collaboré avec l’international Wilfried Kanon pendant quatre ans. J’ai également travaillé avec Sako Oumar, ancien défenseur de l’ASEC Mimosas, ainsi qu’avec Mohamed Zongrana, également de l’ASEC. J’ai aussi été en charge de Serge Pokou et Touré Mory, qui évoluait au Denguelé Sports, et que j’ai transféré en Égypte. Je suis actuellement l’agent de Gabi Souleymane, qui joue au FC Winterthour en première division suisse. En dehors de ces joueurs, j’accompagne également plusieurs talents d’origine ivoirienne et malienne.

Beaucoup estiment que le championnat ivoirien est pauvre en qualité. Comment réussissez-vous à trouver les talents pour les vendre ?

Chacun a sa propre perception des choses. Pour ma part, je pense que le football ivoirien regorge de talents. Le football, c’est avant tout la jeunesse, et il est essentiel de mettre en place un projet structuré pour bien encadrer ces jeunes et leur permettre d’émerger. Aujourd’hui, il est nécessaire de rehausser l’image du championnat ivoirien. L’ASEC Mimosas joue un rôle clé en formant de nombreux joueurs et en participant régulièrement aux compétitions africaines. Mais pour que le championnat ivoirien progresse, il faudrait que tous les clubs disposent d’une académie avec de bons formateurs.

C’est-à-dire ?

Cela éviterait de devoir recruter des joueurs moins talentueux et favoriserait l’émergence de nouveaux talents locaux. Nous venons d’être champions d’Afrique, ce qui prouve que le talent est bien présent en Côte d’Ivoire. J’espère que les dirigeants de la FIF travaillent sur un plan pour structurer le championnat et le rendre plus compétitif. Un championnat bien organisé, avec de réelles opportunités, aiderait à la fois les agents et les joueurs à mieux évoluer.

 Certains accusent les agents d’affaiblir le championnat en transférant chaque saison les meilleurs talents. Que répondez-vous à cela ?

C’est une excellente question ! Nous, les agents, vivons de notre métier. Mais il ne faut pas oublier que les clubs ont également besoin de ressources financières pour fonctionner. Lorsqu’un club ivoirien détient un joueur talentueux et qu’il reçoit une offre intéressante, il est difficile de refuser, surtout dans un contexte où les subventions ne suffisent pas à couvrir les dépenses des clubs. Regardez l’ASEC Mimosas, son modèle économique repose sur la formation et la vente de joueurs, ce qui lui permet de maintenir une certaine stabilité financière.

L’ASEC est donc un exemple ?

L’essentiel est d’avoir une bonne organisation au sein des clubs. Un club bien structuré peut vendre un joueur, mais aussi en recruter d’autres de qualité pour maintenir son niveau compétitif. C’est ce que font les grands clubs européens comme le Real Madrid ou le FC Barcelone. Le problème, ce n’est pas de vendre des joueurs, mais de ne pas avoir un système efficace pour les remplacer.

On observe un exode des joueurs ivoiriens vers la Tanzanie. Pensez-vous que ce soit un bon tremplin pour eux ?

Le championnat tanzanien est en plein essor, notamment sur le plan financier. Aujourd’hui, un jeune joueur de 18 ou 19 ans, voire 20 ans, qui n’a pas d’opportunité en Europe, peut envisager la Tanzanie. Les conditions financières y sont meilleures que chez nous. En Côte d’Ivoire, il est difficile pour un joueur d’obtenir un salaire de 500 000 FCFA, alors qu’en Tanzanie, les clubs offrent des primes de signature allant de 90 millions à 120 millions FCFA, avec des salaires mensuels entre 3 millions 600 mille et 6 millions FCFA. Cependant, il faut bien réfléchir avant de partir.

Pourquoi ?

La Tanzanie peut être un tremplin si l’on y reste une ou deux saisons et qu’on y brille. Cela peut ouvrir des portes vers des championnats plus compétitifs. Il faut aussi souligner que le championnat tanzanien bénéficie d’un engouement similaire à celui des pays maghrébins : les stades sont pleins, les supporters sont passionnés. Contrairement à la Côte d’Ivoire, où même lors d’un derby ASEC-Stade, l’affluence reste faible.

Comment remédier à ce manque d’engouement du public pour le championnat ivoirien ?

 Je pense que c’est aux clubs de s’organiser pour mobiliser leurs supporters. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de plaisir à aller au stade. Les gens viennent voir du spectacle, mais si la qualité du jeu et de l’organisation ne suit pas, ils finissent par se désintéresser. Dans les années 90, l’ASEC remplissait le stade Félix Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, on peine à remplir le stade Robert Champroux. La Ligue et la Fédération doivent mettre en place des stratégies pour améliorer l’attractivité du championnat et attirer plus de monde dans les stades.

 Quelle est votre relation en tant qu’agent avec les clubs ivoiriens ?

Personnellement, j’ai de très bons rapports avec les clubs. Nous avons besoin les uns des autres : les clubs forment les joueurs, et nous, les agents, leur apportons des opportunités. Les clubs n’ont pas toujours les moyens de négocier directement avec les clubs étrangers, c’est là que nous intervenons. Un agent qui parvient à transférer un joueur pour un million d’euros apporte une ressource précieuse à son club. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir une collaboration saine et professionnelle entre agents et clubs.

Le métier d’agent de joueurs est-il rentable en Afrique ?

En toute honnêteté, c’est un métier très difficile en Afrique. Beaucoup de collègues peinent à s’en sortir, car cela demande du temps, de la patience et un véritable réseau. Être agent, ce n’est pas seulement faire signer des contrats. Il faut savoir détecter les talents, comprendre les besoins des clubs et construire des relations solides. Beaucoup de jeunes veulent devenir agents en pensant aux gros transferts et aux chiffres impressionnants. Mais sans passion, sans patience et sans expertise, il est très difficile de réussir.

Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes qui veulent devenir agents de joueurs ?

D’abord, il faut être passionné et prêt à faire des sacrifices. Ce métier est exigeant et demande une bonne connaissance du football et du marché des transferts. Il faut aussi être patient, car les résultats ne viennent pas immédiatement. Ce n’est pas parce qu’on devient agent qu’on va tout de suite réaliser de gros transferts. Il faut du temps pour bâtir une réputation et établir des contacts solides avec les clubs et les joueurs.

A lire aussi